Ibn 'Abbâs continue
« Abû Sufyân Ibn Harb m'a raconté qu'il se trouvait alors en Syrie à la tête d'une caravane de marchands Qurayshites ; c'était au cours de la trêve conclue entre l'Envoyé de Dieu (ﷺ) et les mécréants de Quraysh . - L'émissaire de César , dit Abû Sufyân , nous ayant rencontré dans une localité de Syrie , nous emmena , moi et mes compagnons , jusqu'à Ilya' ' . On nous introduisit auprès de l'empereur , et nous le vimes assis dans la salle du conseil , le front ceint d'un diadème , et entouré des grands d'entre les Byzantins . Il dit à son interprète : Demande-leur lequel d'entre eux est le plus proche parent de cet homme qui prétend être prophète . - C'est moi , répondis-je . - Et quel est ton degré de parenté avec lui ? interrogea César . - C'est mon cousin , répartis-je . Et de fait il n'y avait alors dans la caravane aucun autre que moi appartenant aux Banû Banû 'Abd Manâf 'Abd Banû 'Abd Manâf Manâf Banû 'Abd Manâf . Qu'on le fasse approcher ! dit l'empereur ; et il donna aussi l'ordre qu'on plaçât mes compagnons derrière moi , contre mes épaules . Après quoi , s'adressant à son interprète : Dis-leur , reprit-il , que je vais interroger cet homme sur le prétendu prophète ; si cet homme ment , ses compagnons devront relever ses mensonges . Or , par Dieu ! si je n'avais eu honte alors de voir relever mes mensonges par mes compagnons , j'eusse menti lorsque l'empereur m'interrogea sur Muhammad . Mais , retenu par cette honte , je dis la vérité . César dit à son interprète : Demande-lui quel rang la famille de ce prophète occupe parmi eux . - Il est de bonne naissance , répondis-je . - Quelqu'un parmi vous a-t-il jamais tenu avant lui de semblables propos ? - Non . - Le soupçonniez-vous de mensonge , avant qu'il tint ces discours ? - Non . - Quelqu'un de ses ancêtres a-t-il régné ? - Non . - Ses partisans se recrutent-ils dans les hautes classes ou parmi les humbles ? - Parmi les humbles . - Leur nombre augmente-t-il ou va- t-il en décroissant ? - Il augmente . - En est-il parmi eux qui , après avoir adopté sa religion , la prennent ensuite en aversion et apostasient ? - Non . - Trahit-il ses engagements ? - Non ; mais nous avons conclu une trêve avec lui en ce moment , et nous craignons qu'à ce propos il ne trahisse . Cette réponse fut la seule où je pus glisser une insinuation défavorable au Prophète (ﷺ) , sans craindre de la voir relever . « Poursuivant ses questions , l'empereur dit : L'avez-vous combattu ? - Oui , répondis-je . - Quelle a été l'issue de sa guerre et de votre guerre ? - La guerre entre nous a eu des fortunes diverses : tantôt c'est lui qui l'a emporté sur nous , tantôt c'est nous qui l'avons emporté sur lui . - Et que vous ordonne-t-il donc ? - Il nous ordonne de n'adorer que Dieu Seul , de ne Lui associer aucune chose , de renoncer à ce qu'adoraient nos pères , de faire la prière , l'aumône , d'être chastes , de tenir les engagements et de rendre les dépôts confiés . Après que j'eus ainsi parlé , l'empereur dit à son interprète : Dis-lui : Je t'ai interrogé sur sa famille , et tu m'as prétendu qu'il était de bonne naissance . Or Dieu a toujours choisi Ses Envoyés parmi les nobles du peuple auquel ils appartenaient . Je t'ai demandé si parmi vous quelqu'un , avant lui , avait tenu de semblables discours , et tu as prétendu que non . Alors en moi-même j'ai pensé que si quelqu'un avant lui avait tenu les mêmes propos , je pourrais croire que cet homme ne fait qu'imiter ses prédécesseurs . Je t'ai demandé si avant qu'il tînt ces discours , vous le soupçonniez d'être un menteur , et tu as prétendu que non . J'ai compris par là que , s'il n'était pas homme à mentir à l'égard de ses semblables , il ne pouvait , à plus forte raison , mentir à l'égard de Dieu . Je t'ai demandé si quelqu'un de ses ancêtres avait régné , et tu as prétendu que non . J'ai pensé alors que si quelqu'un de ses ancêtres avait régné , je me dirais : Cet homme cherche la royauté de ses pères . Je t'ai demandé si ses adeptes se recrutaient parmi les humbles ou parmi les grands , et tu as prétendu que c'était parmi les humbles . Or c'est toujours eux qui forment les partisans des Prophètes . Je t'ai demandé s'ils augmentaient en nombre ou s'ils diminuaient , et tu as prétendu qu'ils allaient en augmentant . Or c'est bien là le propre de la foi de croître jusqu'à sa complète évolution . Je t'ai demandé si quelques-uns d'entre eux , après avoir embrassé sa religion , s'en détournaient avec horreur et la reniaient , et tu as prétendu que non . Et c'est bien ainsi qu'il en est de la foi : les cœurs que sa grâce a pénétrés ne la prennent pas en aversion . Je t'ai demandé s'il manquait à ses engagements , et tu as prétendu que non : il en est ainsi des prophètes , ils ne trahissent point . Je t'ai demandé si vous l'avez combattu , et tu as prétendu que oui , que la guerre entre vous avait eu des fortunes diverses , tantôt à son avantage , tantôt au vôtre . Il en est ainsi des prophètes , ils subissent des épreuves , mais le succès final leur appartient . Je t'ai demandé ce qu'il ordonnait , et tu as prétendu qu'il vous ordonnait d'adorer Dieu et de ne rien Lui associer , qu'il vous interdisait d'adorer ce qu'adoraient vos ancêtres , qu'il vous prescrivait la prière , l'aumône , la pureté de mœurs , la fidélité à tenir les engagements et à rendre les dépôts confiés . « Tout cela , poursuivit César , répond bien au portrait d'un vrai prophète . Je savais bien qu'un tel prophète allait paraître , mais je ne supposais pas qu'il serait l'un d'entre vous . Si tu as dit vrai , il ne s'en faut guère que cet homme conquière cet endroit même que foulent mes deux pieds . Quant à moi , si je savais pouvoir parvenir vers lui , je m'efforcerais de le rencontrer , et si j'étais auprès de lui , je laverais la poussière de ses pieds . Ensuite l'empereur fit apporter la lettre de l'Envoyé de Dieu (ﷺ) . On la lut et elle était ainsi conçue : Au nom de Dieu , le Tout miséricorde , le miséricordieux . De la part de Muhammad , le serviteur de Dieu , et Son Envoyé , à Héraclius , le chef des Byzantins . Salut à quiconque suit la guidance . Ensuite : je t'appelle à la foi musulmane . Convertis-toi à l'islam , tu seras sauvé ; convertis-toi à l'islam , Dieu te donnera une double part de récompense . Si tu te détournes de l'islam , tu seras en outre responsable du péché des laboureurs . { Ô gens du Livre , venez à une formule moyenne entre vous et nous : de n'adorer que Dieu sans rien Lui associer , de ne pas nous prendre les uns les autres pour maîtres en place de Dieu . S'ils se dérobent , eh bien ! dites : « Témoignez que nous sommes Ceux-qui-se-soumettent » } sourate 3 , verset 64 . » Abû Sufyân poursuit son récit en ces termes : « Lorsque Héraclius eut fini de parler , des cris violents furent poussés par les grands personnages byzantins qui l'entouraient , et un grand tumulte s'éleva . L'empereur donna alors l'ordre qu'on nous fit sortir . Lorsque nous fûmes dehors , me trouvant seul avec mes compagnons , je leur dis : Il faut que les affaires du fils d'Abú Kabsha aient pris de l'importance , puisque le prince des Banû al-Asfar le redoute . Et depuis lors , jusqu'au jour où malgré mes répugnances Dieu amena mon cœur à l'islam , je demeurai humilié (ﷺ) convaincu du succès de Muhammad . »